Cannes. L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur.
Alors que ce mardi 13 mai débute la 78e édition du Festival de Cannes et que la question du cinéma palestinien se pose, la Revue Lumière avait publié il y a quelques mois un numéro spécial dédié au cinéma de Palestine, à son histoire et à sa postérité (« Cinéma de Palestine », association Club Lumière, 3 mars 2025, 106 pages, 9,99 €). Retour sur ce numéro. Notre article.
Face à la Croisette, la Palestine : un cinéma en lutte
Tandis que les projecteurs s’allument une fois encore sur la Croisette, que le Festival de Cannes déroule ses tapis rouges et que les flashs des journalistes et des paparazzis immortalisent la montée des marches, d’autres images, elles, sont invisibilisées. Des images en noir et blanc, ou en couleurs abîmées, souvent tournées dans l’urgence, parfois sauvées de justesse. Des images qui ne font pas événement, mais mémoire. Ce sont celles du cinéma palestinien. Celles que l’association Club Lumière, implantée à Besançon, a choisi de mettre à l’honneur dans son numéro spécial, aussi rigoureux qu’engagé.
Intitulée simplement Cinéma de Palestine, cette publication collective de 106 pages mêle photogrammes, analyses et récits pour composer une traversée libre et habitée du grand écran palestinien. Une manière, pour ce collectif de passionné·es du septième art, de faire entendre d’autres voix, à rebours du vacarme commercial qui entoure les grands festivals.
Créé en 2020, le Club Lumière rassemble aujourd’hui une quarantaine de membres en France et en Belgique, mobilisé·es autour d’une même conviction : penser le cinéma comme un geste culturel, mais aussi comme un outil critique, une arme politique, un lieu de mémoire.
C’est dans ce sens que s’inscrit ce nouveau numéro. À rebours des rétrospectives froides, le collectif propose un parcours exigeant, attentif aux formes autant qu’aux luttes. En somme, l’objectif est de rendre compte de la vitalité et de la singularité d’un cinéma qui ne cesse de résister. Le récit d’un cinéma mutilé, parfois clandestin, souvent entravé, mais toujours combatif. Un cinéma qui, en Palestine, comme ailleurs, se fait refuge, cri, ou trace, selon les époques et les contextes.
Pour aller plus loin : Gaza au cœur des manifestations du 1er mai
Des trajectoires, des luttes, des regards
Dans ce numéro, on y croise les films d’Elia Suleiman – dont notamment Chronique d’une disparition et It Must Be Heaven, figure tutélaire d’un cinéma à la fois burlesque et mélancolique, qui raconte la Palestine à travers l’absurde et le silence. On y découvre aussi les trajectoires marquantes de cinéastes comme Mustapha Abu Ali, pionnier du documentaire militant, Heiny Srour, dont le regard féministe bouscule les représentations du monde arabe, ou encore Hany Abu-Assad, qui filme la violence comme condition d’existence.
D’autres pages, plus contemporaines, s’intéressent aux œuvres récentes de Mahdi Fleifel, ou aux réflexions de jeunes chercheurs et chercheuses qui interrogent la place des archives, la résistance féministe, ou la résonance des luttes anticoloniales dans les formes cinématographiques.
La solidarité avec la Palestine
Mais au-delà de la seule analyse, ce numéro est aussi un acte. Un acte de solidarité d’abord : l’intégralité des bénéfices générés par les ventes sera reversée à l’ONG Secours Islamique France, qui vient en aide aux populations palestiniennes. Un acte de mémoire, ensuite : alors que l’armée israélienne mène, depuis octobre 2023, une offensive d’une brutalité inouïe à Gaza, causant des dizaines de milliers de morts, réduisant en cendres les hôpitaux et les écoles, il devient plus que jamais vital de porter les récits de celles et de ceux qu’on tente de faire disparaître.
Et un acte politique, enfin : la revue appelle ses lecteurs à se mobiliser pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, militant communiste libanais emprisonné en France depuis 1984, symbole des résistances arabes anticoloniales.
Filmer, c’est résister
En filigrane, ce numéro interroge aussi la place du cinéma dans nos sociétés. À quoi sert une image, quand les bombes tombent ? Que peut un film face à un drone kamikaze, une caméra face à un char ? La réponse est peut être dans l’entêtement de ces réalisateurs et réalisatrices à continuer de filmer, malgré tout. À sauver les images, quand les corps disparaissent. À donner des visages, des voix, des mémoires à un peuple que l’on voulait réduire au silence.
Un appel à voir, à relayer, à lutter
En somme, alors que le Festival de Cannes s’ouvre, ce numéro du Club Lumière rappelle que le cinéma peut être tout autre chose qu’un divertissement de luxe : une forme de lutte, un outil de transmission, une riposte à l’effacement. À l’heure où Gaza fait face à un génocide dans une indifférence organisée, où les grandes institutions culturelles gardent le silence, ce travail éditorial résonne comme un geste de courage. Et comme un appel à relayer.
« Cinéma de Palestine », association Club Lumière, 3 mars 2025, 106 pages, 9,99 €. Disponible par commande en ligne : https://linktr.ee/cinema_de_palestine
Par Mustafa Duman